CANTORIA. Quand un Binchois fait chanter des Montois…

Beau le cristal, beau l’albastre et l’yvoire,

Beau le porphire et le jaspe luisant

Et beau est l’or : des beaux metaux la gloire.

Beau le rubis aux doigtz hautains duisant,

Beau de la terre est le fruit et plaisant :

Beau est le vaincre ou tant d’honneur habonde,

Mais des vainqueurs les debats appaisant :

Belle la paix, seulle embellit le monde 1.

CANTORIA – Christian LEROY – Photo B. DETRY

Assis sur un banc, Square Roosevelt, à Mons, au pied de la collégiale Sainte-Waudru, des voix mélodieuses, à peine perceptibles, parviennent à mes oreilles. Mon attention mise en éveil, je me lève et me dirige vers l’édifice religieux. Et là, au milieu d’un écrin de verdure, j’aperçois Cantoria, cette statue du sculpteur binchois Christian LEROY (1931-2007). Trois choristes lisant une partition. A n’en pas douter celle de la chanson en vieux français qui m’était parvenue.

Et je me souviens : ce monument a été élevé en 1970 à la mémoire du célèbre compositeur montois Roland de LASSUS (1532-1594) ou Roland de LATTRE ou encore Orlando di LASSO. Le divin Orlande, le Prince de la musique…

Il est l’un des compositeurs les plus prolifiques, polyvalents et universels de la Renaissance tardive. Il a écrit plus de 2 000 œuvres dans tous les genres en latin, français, italien et allemand ; 1 600 sont signées ou attribuées avec certitude. Il s’agit notamment de 530 motets, 175 madrigaux italiens et villanelles (chansons polyphoniques d’origine napolitaine) et 90 lieder allemands.

On connait un peu moins ses 150 chansons françaises dont Beau le cristal qui me vint aux oreilles 2.

Cantoria, chorale ou chœur ; le titre de l’œuvre est adéquat.

Mais le mot cantoria désigne également plus spécifiquement un élément d’architecture à savoir l’estrade, la tribune, le balcon voire le jubé pour chanteurs que l’on trouve dans les églises italiennes dont le chef d’œuvre de la Renaissance, la tribune en marbre sculpté (1431-1438) par Luca della Robbia pour l’imposante cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence.

Le sujet traité par ce dernier dans le marbre est le psaume Laudate Dominum dont les motifs du balcon illustrent, mot à mot, chaque verset. Deux groupes d’enfants choristes sont répartis dans les panneaux aux extrémités rigoureusement encadrés de pilastres jumelés.

Cantori – Image domaine public Wikipédia

Remarquons surtout le panneau à l’extrémité droite (intitulé Cantori) dont la composition a vraisemblablement inspiré notre sculpteur Christian LEROY qui avait effectué un voyage d’étude en Italie en 1956 particulièrement à Florence.

Dans le livre consacré à l’artiste, Yvon VANDYCKE dira à titre d’introduction à sa sculpture :

Élaborée dans une grande simplicité d’intention, de manière plus intuitive que raisonnée, et mesurée autant qu’intuitive, la sculpture de Christian LEROY dialogue avec cette part de nous-mêmes où nous préservons le bonheur d’être, la tendresse et l’amitié pour les êtres. Classique par nature, lyrique par sa sensibilité charnue, mélodique de forme et de rythme, elle parle avec un cœur confiant des choses graves3

Christian LEROY est surtout connu des Binchois pour sa sculpture en bronze, d’une hauteur de 1,60 mètre, intitulée Le Paysan, sise Place de Battignies dont l’inauguration eut lieu en 1961 par le bourgmestre Charles DELIEGE. La presse locale relata l’évènement en ces termes :

Dans son discours inaugural, M. le Bourgmestre souligne la similitude qui existe entre le Gille et le Paysan. Tous deux font partie intégrante du folklore binchois. Si l’habitude prise un peu partout d’imiter notre Gille est plus grave que celle qui a tendance à imiter notre Paysan, il n’en reste pas moins vrai qu’il incombe à tous les Binchois de protéger l’un et l’autre, dans l’intérêt suprême de notre patrimoine folklorique.

M. le Bourgmestre souligne avec insistance, combien les promoteurs de la rénovation de cette si sympathique société, doivent être remerciés.
Car, entre les deux guerres, le Paysan faillit disparaître de notre carnaval.
M. le Bourgmestre félicite encore M. l’Abbé Ramboux qui fut responsable de la société pendant de nombreuses années, et M. l’Abbé Thomas qui assure la relève dès cette année. 


Puis, il congratule le sculpteur M. Christian Leroy, fils d’une vieille famille binchoise et lui-même ancien Paysan. Et après avoir souligné l’ascension rapide du jeune sculpteur dans le domaine artistique, M. le Bourgmestre invite le réputé orchestre de la société à jouer l’air des Paysans. Tambour 4.

Quelques années plus tard, comme un écho à cet éloge, Christian LEROY réalisa une plaque en bronze à l’effigie du bourgmestre DELIEGE. Elle se trouve dans le parc communal.

Enfin, dernière œuvre de l’artiste dans l’espace public binchois (bien que propriété de la famille), la statue en bronze datant de 1983 dénommée Les Mineurs (1,32 m X 1,03 m) à la rue Lucien ROLAND, sous l’immeuble dit Balcon LEROY 5.

Bernard DETRY

 

1. http://fr.instr.scorser.com/D/566594.html  – Beau le cristal, Roland de Lassus, LV 574

2. https://www.youtube.com/watch?v=6WiHTZQJNvo

3. Christian LEROY sculpteur, Préface de Paul CASO et textes d’Yvon VANDYCKE – 1977 – Imprimerie Graphing S.A. Jumet (B).
5. La première partie de cet article a été diffusée sous forme numérique par la Maison de la Mémoire de Mons le 30/11/2022